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Seydou Keïta

© Seydou Keïta / SKPEAC / photo courtesy CAAC – The Pigozzi Collection, Genève

© Seydou Keïta / SKPEAC / photo courtesy CAAC -The Pigozzi Collect. Genève

Rétrospective du photographe malien présentant un parcours chronologique de 1949 à 1962, à partir d’un ensemble de tirages argentiques modernes réalisés de 1993 à 2011 et signés par Seydou Keïta, ainsi que des tirages argentiques d’époque.

Né à Bamako vers 1921, apprenti menuisier dès l’âge de sept ans, Seydou Keïta tombe amoureux de la photographie à quatorze ans quand son oncle lui offre un appareil Kodak Browning. Autodidacte, il commence à pratiquer le métier vers dix-huit ans tout en poursuivant la menuiserie et fabrique à l’aide d’un châssis-presse son agrandisseur. Vers 1945 Keïta acquiert un appareil à chambre 13/18 et se perfectionne au tirage auprès du photographe instituteur Mountaga Dembélé qui, engagé dans l’armée coloniale du Soudan français – plus tard le Mali – avait eu l’occasion de se former en France auprès du professeur Houppé, inventeur de l’agrandisseur Imperator et qui avait publié Les Secrets de la photographie dévoilés.

Keïta ouvre son studio en 1948 et travaille à la lumière du jour, dans la cour familiale attenante, dans un quartier animé, à deux pas de la gare. On le remarque très vite pour son sens de la mise en scène, la pose qu’il travaille au cordeau et la qualité de ses tirages. Il remporte un vif succès et le tout-Bamako défile devant son objectif : commerçants, fonctionnaires, politiciens, jeunes citadins lettrés qu’on appelle les évolués. Son studio est un lieu de rendez-vous et de palabre où il affiche sur les murs ses cartes c’est-à-dire ses photos faisant fonction d’échantillons et de modèles et qui permettent aux indécis de choisir leur pose : assis, debout, couché, en buste ou de pied. Le cas échéant, il sait aussi être directif.

Seydou Keïta engrange dans son studio une réserve d’accessoires donnant à ceux qui se présentent la chance de l’élégance avec variation de chapeaux, ceintures, fume-cigarettes, montres, cravates et bijoux. Le jeu des tissus, tapis et toiles de fond damassés très prisés et bigarrés permet une construction et une mathématique sublime de l’image. Il les croise avec les extraordinaires étoffes déclinées dans les robes larges et fluides qui s’étalent, et avec les coiffes très élaborées qui juxtaposent cinq ou six motifs différents. Des objets comme vélos, scooters, 203 Peugeot, postes de radio, chaises et machines à coudre Singer donnent l’idée de la modernité.

L’exposition débute sur de très grands formats, portraits solos qui nous fixent avec sérieux et/ou avec pudeur et timidité. Les mouvements des étoffes sont somptueux, les pois côtoient les carreaux et les rayures, les lignes et les dentelles, il y a beaucoup de grâce. Seydou Keïta met un point d’honneur à valoriser celui ou celle qu’il cadre, à lui donner la meilleure image possible de lui/d’elle-même. Il y a ensuite des photographies de différents formats mettant en scène des duos, trios, petits groupes, couples, familles entières, groupes d’amis, enfants, toujours dans la mathématique du bien ordonné et du parfaitement aligné, avec la variation du similaire ou du complémentaire : cravates ajustées, chaussures bicolores, vestes croisées. Les vêtements occidentaux croisent les boubous, le notable porte le sien, complet, fait de bazin – ce tissu blanc damassé, teinté et amidonné, frappé avec un maillet sur un billot de bois – les médailles s’alignent. Les coiffures sont comme des arabesques ou des trèfles à quatre feuilles et le placement des mains, savamment étudié, ajoute à la grâce. Elles se posent, s’envolent, effleurent, s’appuient, sur un poste radio ou un dossier de chaise, se calent sur la hanche. Les yeux parlent ou sont mélancoliques, l’une nous suit du regard comme une Joconde, les gestes sont parfois gauches, un scooter posé sur béquille conduit ces deux élégantes vers le pays des rêves, le sportif en short grandes chaussettes et tennis exhibe son trophée et l’homme à la fleur blanche aux lunettes sans verres, médite.

Les photos sont présentées dans deux longues coursives qui s’étirent et mènent dans un espace en rond où sont présentés les vintages, comme dans un écrin. Ces tirages d’époque, petits formats pour la plupart car à la dimension du négatif, sont des tirages contact aux couleurs parfois passées ou légèrement sépia auxquelles l’encadreur ajoutait parfois une petite touche de couleurs sur les ongles, sur un bijou ou une coiffure. C’est la première fois que sont réunis ces tirages, retrouvés parce qu’abandonnés dans l’atelier de l’encadreur ou oubliés par le client, car si Seydou Keïta classait ses négatifs, il ne gardait pas de tirages. Sur un mur, l’évocation de Françoise Huguier, une photographe passionnée d’Afrique qui a contribué à la diffusion des photographies de Seydou Keïta et à celles de son compatriote Malik Sidibé – l’œil de Bamako, Lion d’or d’honneur à la Biennale d’art contemporain de Venise en 2007, et qui vient de s’éteindre à l’âge de quatre-vingts ans -. La voyageuse a créé en 1994 avec Bernard Descamps, les Rencontres internationales de la photographie de Bamako confirmant en la première édition la notoriété mondiale de ces deux grands photographes. Sur grand écran, le film documentaire réalisé par Brigitte Cornand en 1998, Seydou Keïta, Photographe dans lequel l’artiste parle de son travail et où on le voit en action installer ses modèles et faire ses prises de vue, est un précieux témoignage.

Seydou Keïta ferme son studio en 1962, deux ans après l’Indépendance du pays devenu Mali, il est recruté comme photographe officiel. Il cesse ses activités photographiques et prend sa retraite à partir de 1977 pour se consacrer à une autre de ses passions, la mécanique. L’occident découvre son travail tardivement, sa première exposition se tient en 1994 à la Fondation Cartier, début de sa carrière internationale. Il meurt en 2001, à Paris.

Cette magnifique collection de portraits, Sans titre, de gens que Seydou Keïta ne connaissait pas et qui resteront la plupart du temps anonymes, illustre, à la veille de l’indépendance, les mutations d’une société qui n’hésite pas à transgresser la tradition – religieuse notamment par la représentation de soi – et à s’engager sur les chemins de la modernité. Elle a valeur de témoignage sociologique sur ces années charnières du milieu du XXème siècle, au Mali.

Brigitte Rémer, 22 avril 2016

Légende de la photo présentée ci-dessus : Seydou Keïta, Sans titre, 1956-1957 – Tirage argentique moderne réalisé en 1998 sous la supervision de Seydou Keïta et signé par lui –

Exposition organisée par la Réunion des musées nationaux-Grand Palais – Commissariat général : Yves Aupetitallot, en collaboration avec Elisabeth Whitelaw, directrice de la Contemporary African Art Collection (CAAC) – The Pigazzi Collection – Avec le conseil scientifique d’André Magnin, Galerie Magnin-A – 31 mars au 11 juillet 2016 – Grand Palais, Galeries Nationales, entrée Porte H – avenue du Général Eisenhower, 75008, Métro Georges Clémenceau – Ouvert tous les jours, sauf le mardi, de 10h à 20h, nocturne le mercredi jusqu’à 22h – Site : www.grandpalais.fr – Le catalogue de l’exposition est édité par la RMN.